From “Trous noirs”
Nommer une blessure
avant qu’elle ne suppure
Partout l’objet du mépris
saigne et pustule
à bon escient
Nommer l’infamie rose sous ses dentelles
avant qu’elle n’impose
Partout l’homme se met à genoux
pleure et transpire
flétri par le deuil solitaire
Partout le malaise fleurit
L’empire du cadavre s’étend
Nommer une fosse une fois recouverte
semer dessus des glands
et passez votre chemin
car la mort est contagieuse
et son nom souillera vos lèvres
vos lèvres votre langue votre bouche
votre blessure
Dans un monde tout gris
Une femme étouffée dans sa graisse
Crie sa solitude
Deux mains crépitent
Dans un miroir d’encre
Une bouche pleine de viande
Blasphème et vocifère
La mayonnaise tourne
Et brouille les vitres
L’or et la tempête
Grondent au-dehors
La femme mange pour se faire connaître
Et meurt la bouche ouverte
Devant le sexe en érection
D’un veilleur de nuit
Dernier soubresaut de la boulimie
La porte est fermée de l’intérieur
Je suis en retard d’une heure
De maigres voiliers se rangent le long des murs
Leurs ancres au repos
Leurs voiles endeuillées
Un gros doigt se prélasse sur un canapé
D’un fusain léger il trace les contours d’un visage féminin
Signes de la virginité autres que l’hymen
Je suis hantéee par les lambeaux absurdes
D’une phrase à peine entendue
Primitive épellation dans la nuit du temps perdu
L’angoisse tient le coeur
de sa petite main de fer
Dans le ventre de la géante la boue
s’agite
L’homme à tête de crocodile
mastic les boyaux
de la grappe
humaine
Des vers noirs s’éprennent
Des vers blancs gravés de chair
font des bulles
Où sont les vieillards de mer?
Qu’il te souvienne
l’heure du soir
où nageaient au loin
les îles riantes
de notre amour
Qu’il te souvienne
Le chien blanc
Les yeux crayeux
le mufle flamand
assoiffé de puissance
Sous le pansement de sa peur
Qu’il te souvienne
les perles du soleil
jetées sur le sable
comme autant de fosses profondes
dans la graisse douloureuse
de la chair coupée
Qu’il te souvienne
hélas mon amour hélas
de l’entour de ces murailles
où murmure la bouche écumeuse
de la belle morte ensevelie
Qu’il te souvienne
l’enchaînement des horreurs
de la nuit
Notes:
Read the English-language translation, from “Black Holes” by Emilie Moorhouse.
This poem is part of “When Can I See You Again: The Poetry of Joyce Mansour,” translated by Emilie Moorhouse. You can read the rest of the portfolio in the June 2023 issue. The poems in the original French are copyright © 1953, 1955, 1958, 1959, 1960, 1965, 1967, 1976, 1982, 1985, 1986, 1991, 2014, 2023 by Cyrille Mansour for the Estate of Joyce Mansour.
Source: Poetry (June 2023)